Revue d’études maçonniques et symbolique, n° 207 – Janvier-juin 2024, 128 pages
Éditorial de Roger Dachez
Pour ce n° 207, dans le dossier central intitulé « Chandeliers, colonnes et piliers – Histoire polymorphe d’une triade complexe », nous proposons à nos lecteurs la première partie d’une déambulation historique parmi les ternaires – fameux mais souvent rattachés à des sources illusoires – que sont, d’une part, Sagesse, Force et Beauté, et de l’autre le Soleil, la Lune, le Maître de la loge. On peut aussi en rapprocher les trois ordres principaux d‘architecture, l’ionique, le dorique et le corinthien dont le destin, dans les tableaux de loge britannique, on le verra, fut un peu énigmatique. Préalablement, il faudra aussi « en finir » avec toutes les hypothèses maçonniques absurdes qui ont pu être publiées, depuis des décennies, à propos des deux colonnes J. et B. – là encore, ce ne sont pas les chemins incertains de « l’exégèse symbolique » que nous emprunterons mais, bien plutôt, dans la tradition éditoriale de notre revue, les voies plus sûres et plus exigeantes de l’histoire des textes et l’examen critique des sources. Les questions auxquelles nous avons à répondre sont multiples : comment ces éléments furent-ils introduits dans le rituel maçonnique ? Quelles significations leur furent-elles initialement associées ? D’où provenaient-ils ? Dans le sillage des travaux fondateurs de René Désaguliers, et à la lumière des contributions de l’érudition anglaise, nous chercherons un peu de lumière sur ces « Lumières » …
Dans la section des Varia, Jean-Théophile Désaguliers est à nouveau à l’honneur pour explorer certains points également peu connus de sa biographie et de sa pensée, au-delà des reconstructions parfois abusives dont sa personne a pu faire l’objet dans divers milieux maçonniques français au XXe siècle – au point, parfois, de le défigurer en partie. On découvrira ainsi, avec Philippe Langlet, ses différents visages et, dans un texte méconnu, je vous proposerai de découvrir ce qu’il pensait de la « philosophie nouvelle » et du déisme…
Nous sommes aussi très heureux de publier à nouveau un article traduit de John Belton, membre de la première loge de recherche du monde, Quatuor Coronati 2076, avec qui j’ai eu l’honneur de travailler pendant près de quatre ans pour concevoir l’ouvrage intitulé Exploring the Vault (1730-1800) – The first Masonic High Degrees, Westphalia Press – lequel parait simultanément en anglais et en français (Les premiers hauts grades maçonniques (1730-1760) – Le mystère des origines, Dervy) au moment où ce numéro de Renaissance Traditionnelle est sous presse. Revenant sur la célèbre union de 1813, qui donna naissance à l’actuelle Grande Loge unie d’Angleterre, John en souligne des aspects généralement méconnus, notamment les conséquences en Angleterre de la Révolution française et de ses suites, l’interaction entre les trois Grandes Loges britanniques depuis le dernier quart du XVIIIe siècle et même l’influence inattendue de la Grande Loge de Suède.
Quant à la rubrique Retour aux classiques, également introduite depuis le n° 206 et que vous retrouverez régulièrement, c’est à la monumentale et presque mythique History of Freemasonry de Robert F. Gould, qu’elle est consacrée pour ce semestre : ouvrage fondateur de « l’École authentique » de l’histoire maçonnique moderne, il contribua aussi, comme on va le voir, à propager certains mythes historiographiques.
Dans Francs-maçons du passé, c’est la figure de Millanois que nous remettons en lumière, compagnon fidèle de Willermoz, injustement un peu oublié et victime de la Révolution française – qui décima presque tout l’entourage du fondateur du Régime écossais rectifié.
Et Jean-Michel Mathonière, dans Côté Compagnonnages, nous entraîne cette fois dans la découverte d’un « Temple compagnonnique »… à ne pas laisser un Maçon dehors !
Une nouvelle rubrique va désormais prendre sa place : « RT il y a 50 ans… » L’idée est de relire à nouveaux frais, un demi-siècle plus tard, d’anciens articles de Renaissance Traditionnelle – souvent dus à la plume éminente de ses plus illustres collaborateurs – afin de rechercher ce qui a surmonté l’épreuve de temps et les points ou les sujets sur lesquels la connaissance a progressé et les idées ont pu changer, notamment grâce au travail fourni depuis lors par notre revue. Nous commencerons par l’étude capitale – et, à l’époque, provocatrice – de Robert Amadou sur la « triple devise » prétendument maçonnique « Liberté, Égalité, Fraternité », publiée en quatre livraisons au cours des années 1974 et 1975 [voir extrait ci-dessous].
Naturellement, les Comptes rendus de livres et la Revue des revues, deux rubriques auxquelles nous tenons beaucoup, sont au rendez-vous de nos lecteurs. Enfin, notez bien les informations relatives au VIIe Colloque du Cercle Renaissance Traditionnelle qui aura lieu à Paris le samedi 5 octobre prochain – nous vous en livrons le programme et nous vous invitons aussi à vous y inscrire dès à présent en ligne car l’événement promet d’être marquant et les places disponibles seront en nombre limité !
Dossier
- Colonnes, chandeliers et piliers : histoire polymorphe d’une triade complexe (1), par Roger Dachez, p. 2 [Lire un extrait]
Varia
- Sur quelques portraits de Désaguliers, par Philippe Langlet, p. 31[lire un extrait]
- Une lettre méconnue de Jean-Théophile Désaguliers, par Roger Dachez, p. 45 [lire un extrait]
- L’Union maçonnique anglaise de 1813 : un nouveau regard, par John Belton, p. 59 [lire un extrait]
Retour aux classiques
- History of freemasonry (1882-1887), Robert f. Gould, par Roger Dachez, p. 73
Francs-maçons du passé
- Jean-Jacques François Millanois (1749-1793), l’ombre de Willermoz, par Roger Dachez, p. 81 [lire un extrait]
Côté compagnonnages
- Notes autour du « Temple compagnonnique » d’Alphonse Fardin, par Jean-Michel Mathonière, p. 85 [lire un extrait]
Renaissance Traditionnelle il y a 50 ans
- « Liberté, Égalité, Fraternité » par Robert Amadou, p. 99 [extrait ci-dessous]
Comptes rendus de livres, p. 114
La revue des revues, p. 121
VIIe colloque du Cercle Renaissance Traditionnelle, p. 126
RT numérique, p. 128
« Liberté, Égalité, Fraternité »
Extrait de la Conclusion : la devise et l’ordre (IV et fin)
par Robert AMADOU
(Dernière partie d’une série d’articles publiés par Robert Amadou dans la revue Renaissance Traditionnelle entre 1974 et 1975 (1974 : n° 17/18, p. 1-25 ; n° 19/20, p. 119-143 ; 1975 : n° 21/22, p. 23-37 ; n° 23/24, p. 223-235 (extrait ci-dessous).
1. Histoire et pratique
Nombreux sont parmi les maçons et les profanes (ainsi que les maçons désignent, sans intention péjorative, ceux qui ne partagent pas leurs mystères), nombreux les amateurs aux yeux desquels « Liberté, Égalité, Fraternité » a toujours été la devise maçonnique par excellence, et le reste aujourd’hui.
L’histoire montre qu’il n’en est rien.
La devise apparaît d’abord en milieu profane, on l’a vu, et elle n’est entrée dans la franc-maçonnerie qu’en 1849.
Encore n’a-t-elle pas été loin. Très peu de frères, par rapport à la masse des francs-maçons, revendiquent son égide : des frères français, on a vu aussi lesquels, des frères belges, espagnols, hispano-américains, italiens… soit quelques dizaines de milliers au total sur six millions de maçons.
La devise a un passé : il est bref et surprend. Il peut intéresser les curieux et les spécialistes de l’histoire maçonnique et de l’histoire générale, il m’a paru, à ces titres, justifier, exiger même la présente étude. Mais ce passé même, l’hérédité de la devise et son jeune âge, sa réclusion et ses liaisons, la rendent suspecte, et soulèvent un problème pratique. Ce problème-là, au contraire du problème historique, qui, pourtant, l’éclaire, ne concerne directement que des obédiences très minoritaires, même dans leur ensemble. Mais ces obédiences sont majoritaires on France et le problème pratique mérite donc d’être examiné en deuxième conclusion de notre enquête. Au reste, une signification profonde, générale, le marque et son intérêt déborde l’aire géographique où la devise se proclame : y sont compromis en effet la définition de la maçonnerie et la fidélité à cette définition, perdue, maintenue ou retrouvée, par les rares obédiences que les mêmes circonstances conduisirent à adopter la devise de l’État quarante-huitard et à entrer sur la voie substituée. Car c’est sur la voie substituée que la Franc- maçonnerie rencontra la devise.
D’où le problème que je disais pratique, puisqu’il revient à se demander : peut-on, faut-il conserver la devise ?
Certains auteurs francs-maçons ont suggéré d’aménager cette de- vise en « Liberté, Équité, Fraternité »[1] P.P., « Réflexions d’un vieux Philosophe sur une devise célèbre », La Chaîne d’Union, (1946-1947, pp. 377-378. , par exemple ; ou bien en « Liberté, Équité, Amitié »[2] Jules Boucher, La Symbolique maçonnique, 2e éd., Paris, Dervy, 1953 p.343. .
Ce sont cautères sur jambe de bois. Le problème est d’abord de savoir si la jambe est de bois, ou engourdie, voire d’une matière inerte mais susceptible de vie.
Fernand Chapuis désespère. Il ne croit pas que la devise ait été maçonnisée, au cours du siècle et quart écoulé depuis son adoption, ni qu’elle puisse l’être. Si la maçonnerie l’a reprise en 1849, rappelle-t-il, c’est
parce qu’elle correspondait à sa mentalité, à son idéologie, parce qu’on la croyait venue des temps anciens … Mais elle n’en demeure pas moins une devise « politique ». C’est sous l’in- fluence des passions politiques qu’elle a pris pied dans la maçonnerie française. L’Art royal ne se doit-il pas de demeurer hors des luttes du forum.
De même que les Suprêmes Conseils Ecossais ont pris pour de- vise universelle « ORDO AB CHAO », ne conviendrait-il pas que la Maçonnerie bleue adopte une devise commune à tous les temps, à tous les pays, à tous les régimes – trait d’union de toutes les Maçonneries mondiales, savoir : « SAGESSE-FORCE-BEAUTE », en marquant ainsi à la fois l’Union de toutes les Maçonneries et le caractère d’universalisme du Rite Ecossais Ancien et Accepté »[3] Fernand Chapuis, art. cit., p. 38. .
Le propos parait convaincant, sinon sur la nécessité d’une devise pour l’Ordre entier, du moins sur l’inaptitude de la devise républicaine à tenir ce rôle, et même à servir pour une seule obédience. Dans la mesure où « Liberté, Égalité, Fraternité » manifeste, en maçonnerie, une erreur, une déviation, pourquoi la conserver en même temps qu’on tâche à rectifier l’erreur et à rentrer sur le droit chemin ? (Il va de soi qu’au cas où l’on refuse de confesser cette erreur et cette déviation flagrante, et à plus forte raison d’y apporter remède, le problème s’évanouit. Mais la franc-maçonnerie aussi chez ceux qui persévèrent de la sorte). Pourquoi donc ? Pour deux raisons, semble-t-il, d’importance inégale et dont aucune ne me paraît ni décisive, ni négligeable. Ce qui fait que la solution du problème n’est pas évidente. […]
> La suite est disponible dans la revue Renaissance traditionnelle, n° 207, janvier-juin 2024, p. 101-113.
Notes :