Comme chaque année, le bulletin de la Société Martinès de Pasqually (n° 23, 2013) nous offre son lot de découvertes. Tout d’abord, c’est un document exceptionnel qui nous est proposé : le fac-similé de la patente que Martinès de Pasqually remit à la loge La Française le 5 janvier 1763.
Ce document ne nous était connu que par la transcription qu’en fit Henri de Loucelles dans un article publié dans La Chaîne d’union en 1880. Confisqué par l’occupant pendant la Seconde Guerre mondiale, il semblait perdu à jamais. C’est un historien du Bélarus, Anatole Stébouraka, qui est à l’origine de sa mise a jour dans les collections de la Bibliothèque nationale de Biélorussie.
Ce bulletin annonce également une autre découverte : le certificat de réception dans l’Ordre des élus coëns de Martin Pirly, garde du corps du roi de France (20 novembre 1764).
Dans un article intitulé « Jean-Baptiste de Cressac, rapide portrait d’un réprouvé », André Kervella nous invite une nouvelle fois à prendre un peu plus la mesure du rayonnement de l’Ordre des élus coëns à Saint-Domingue. De leur côté, avec « Quel héritage Martinès est-il chargé de recouvrer à Saint-Domingue ? », Michelle Nahon et Maurice Friot reviennent sur un épisode capital de la vie du Grand Souverain. Ils nous apportent un éclairage précis sur l’événement qui marque son départ et met fin à l’essor de l’Ordre des élus coëns en France.
Renée de Brimont (1880-1943) a été la première à faire entrer Martinès de Pasqually et Saint-Martin dans la littérature. Son roman Belle Rose, publié en 1933, comporte des données biographiques très précises sur le fondateur de l’Ordre des élus coëns. Dans un article intitulé « Renée de Brimont et Martinès de Pasqually », Michelle Nahon et Maurice Friot tentent de percer les sources utilisées par cette poétesse, spécialiste de la littérature française du XIXe siècle et présidente de la Société des femmes (Les cent une).
Outre son séjour à Bordeaux, le régiment Foix Infanterie stationna dans plusieurs villes, notamment à Port-Louis, citadelle qui défend l’entrée de Lorient. Dans « Les officiers du régiment de Foix en Bretagne », Michelle Nahon et André Kervella tentent de comprendre comment les élus coëns de ce régiment se sont intégrés dans les loges bretonnes. Leurs recherches nous permettent de découvrir l’existence d’un « noyau coën » au sein de la loge L’union, à Lorient, en 1767, ainsi qu’à La Nouvelle Amitié de Morlaix.
Dans « Autour d’un curieux manuscrit : la question des loges bordelaises au XVIIIe siècle », Thierry Lamy s’interroge sur ce que certains historiens du XIXe siècle appelaient « l’Écossisme réformé de Saint-Martin », théorie qui veut que le Philosophe inconnu ait créé un système de hauts grades maçonniques. L’auteur de cet article ne nous donne hélas pas suffisamment d’éléments sur le manuscrit qui introduit son étude pour qu’on puisse apprécier sa relation avec la suite de son propos.
Rappelons que l’hypothèse du système « réformé de Saint-Martin » est née sous la plume de Thory en 1812 (Annalis originis). Elle a été reprise par Delaulnaye dans son Thuileur (1813), puis par Bésuchet dans Précis historique (1829). J.-B. Galiffe (La Chaîne symbolique, 1852) et Ragon (Orthodoxie maçonnique, 1853) la colporteront à leur tour. Teder l’évoquera lui-même dans sonRituel de l’Ordre martiniste (1913), parlant du « rite rectifié par L.-C. de St-Martin en 1754 ». Cette hypothèse ne repose pourtant sur aucun élément concret. Il aurait été bon de rappeler que la première occurrence de ce qu’il faut bien appeler une légende figure dans Annalis originis magni Galliarum O :., ou Histoire de la fondation du Grand Orient de France (Paris, Nouzou, 1812), où Claude-Antoine Thory précise :
« M. de Saint-Martin, sectateur de Martines Paschalis, introduisit dans la Franche-Maçonnerie les principes et les pratiques du martinisme. Il distribua l’enseignement de ce système en dix grades, qui étaient conférés dans deux temples. Il a laissé à ce sujet un manuscrit en deux volumes in-4°, dans lequel on trouve la nomenclature de ces grades. […] on trouve ramassé dans les grades de Saint-Martin les superstitions les plus ridicules comme les croyances les plus absurdes. » (p. 52.)
Dans Acta Latomorum (1815), Thory reprendra ces éléments (t. 1, p. 223). L’existence du manuscrit auquel se réfère Thory pose problème, car celui-ci ne figure pas parmi les nombreuses archives laissées en héritage par le Philosophe inconnu. Depuis le XIXe siècle, aucun historien sérieux n’a accordé foi aux dires de Thory, d’autant que la simple lecture des ouvrages du théosophe, de ses correspondances ou l’étude de sa biographie suffit à contredire qu’il ait eu un tel projet. Lorsqu’en 1782 Saint-Martin parle à Willermoz de son dessein d’établir une « petite école » à Paris, il s’agit probablement d’un groupe coën dont Saint-Martin, comme d’Hauterive, tenterait de perpétuer les activités en marge des groupes officiels (les coëns seront actifs à Toulouse jusqu’en 1786). Robert Amadou a toujours été formel sur ce point : Saint-Martin n’a fondé aucun rite, et jusqu’à présent aucune découverte significative n’est venue contredire ce point de vue.
Jean-Louis Boutin nous propose la transcription du chapitre qu’Ernest Lecourt d’Hauterive a consacré au martinisme dans Le Merveilleux au XVIIIe siècle (1802), texte peu connu, bien qu’il ne le soit pas autant qu’on nous le dit ici. Ce texte est introduit par une série d’éléments biographiques, laquelle hélas ne soulève pas la question de son éventuelle parenté avec l’élu coën Duroy d’Hauterive.
Le Bulletin nous propose également la suite de la patiente retranscription du Traité sur la réintégration selon le manuscrit d’Agen (fonds Delard de Rigoulières). Aidé par Georges Courts, Jean-Louis Boutin nous propose ici les pages 31 à 50 d’une des plus anciennes versions du Traité,selon sa version primitive (dite version courte).
Cette livraison de l’organe officiel de la Société Martinès de Pasqually s’achève sur une série de notes de lectures à propos de parutions récentes. Comme à son habitude, ce bulletin recèle une quantité importante d’informations qui nous permettent de mieux appréhender le martinisme du XVIIIe siècle. Il nous montre une fois de plus que ce sujet d’étude est loin d’être épuisé.
84 p. – ISSN 1152-6440
Dominique Clairembault
Sommaire
- Avant propos de la Présidente, par Michelle Nahon.
- Les traces de Martines de Pasqually en Bielorussie, par Anatole Stébouraka.
- Transcription de la copie de la patente remise à la Française
- Reproduction de la copie de la patente (hors-texte)
- Quelques commentaire et pistes de recherches
- Le certificat de réception de Martin Pirly.
- Jean-Baptiste de Cressac, rapide portrait d’un réprouvé, par André Kervella.
- Quel héritage Martinès est-il chargé de recouvrer à Saint-Domingue ? Par Michelle Nahon et Maurice Friot.
- Renée de Brimont et Martinès de Pasqually, par Michelle Nahon et Maurice Friot.
- Les officiers du régiment de Foix en Bretagne, par André Kervella et Michelle Nahon.
- Autour d’un curieux manuscrit : la question des Loges bordelaises au XVIIIe siècle, par Thierry Lamy. Traité sur la réintégration des êtres, traduction en allemand par Roland Marthaler.
- Ernest Lecour d’Hauterive et Le Merveilleux au XVIIIe siècle, par Jean-Louis Boutin.
- Traité sur la réintégration des êtres créés dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine (AD de Lot et Garonne) suite de la transcription par Jean-Louis Boutin avec l’aide de Georges Courts.
- Notes de lecture.