« Dieu demande comme autrefois que nous nous retirions dans le secret de notre cœur, et que nous fermions la porte sur nous. […] La religion du cœur, soutenue d’un culte simple, vaudra certainement mieux que cet échafaudage à la romaine, qui ne sert, hélas ! que trop souvent, de voile à l’hypocrisie. »
Pierre Pontard (1749-1832), député de la Dordogne, évêque de l’Église constitutionnelle, fut pendant la Révolution l’un des personnages les plus influents du cercle de la duchesse de Bourbon. En 1792, il devient son confesseur en remplacement de l’abbé Dugarric qui avait refusé la Constitution civile du clergé. Entre 1792 et 1797, l’évêque de la Dordogne publia le Journal Prophétique, périodique destiné à soutenir la « mission » de la prophétesse Suzette Labrousse. C’est d’ailleurs chez la duchesse de Bourbon, en novembre 1791, que fut conçu le projet de cette publication. La citoyenne Vérité finança d’ailleurs le Journal Prophétique. Lorsqu’elle sera emprisonnée à Marseille en avril 1793, Pierre Pontard utilisera son Journal pour prendre la défense de cette « républicaine vertueuse ».
Comme beaucoup de membres de l’église constitutionnelle, Pierre Pontard a été marqué par le figurisme de Pierre Duguet. Il voyait dans la destitution de l’église de Rome, un signe annonçant l’approche du retour d’Elie. Selon les prophètes, ce retour doit marquer le second avènement du Christ et entrainer la régénération du christianisme. En mars 1792, il écrit dans le Journal Prophétique : « Tu survivra, religion sainte que j’adore, à la perte des ministres prévaricateurs ! Aussi, c’est avec délices que je parcours les prophéties que contiennent les livres sacrés, et c’est avec effusion de cœur que je publie des prédictions qui m’en font entrevoir l’accomplissement prochain. Non, la religion ne périra pas, au contraire, c’est des débris même du clergé que vont sortir les saints, les hommes de Dieu, les apôtres et les vrais disciples du Sauveur ! »
D. Clairembault
Journal Prophétique, 1re semaine août 1792
Avertissement essentiel dans les circonstances où nous sommes
Bien des personnes dont l’intention est pure et digne d’éloges, me témoignent leur appréhension au sujet de la suppression des fêtes, des processions. La destruction des communautés cloîtrées, et divers autres articles leur inspirent de l’effroi en faveur de la religion.
Je crois devoir leur observer que la religion ne fut jamais plus florissante que lorsqu’elle resta dégagée de cet amas de cérémonies et d’institutions extérieures dont Rome a réussi à l’écraser : en effet, quand Jésus-Christ est venu établir la nouvelle loi, il n’a rien donné à ses apôtres de surchargeant, et la raison en est bien simple ; c’est parce qu’il vouloir les instruire dans l’intérieur et les conduire par-là : aussi voyons-nous que dans les premiers conciles les apôtres ne demandèrent rien aux fidèles, sinon qu’ils s’abstinssent de la fornication et du sang, c’est-à-dire, de tous les objets sensibles ; aussi les premiers chrétiens étaient intérieurs. Qu’a-t-on fait en multipliant les lois extérieures et les institutions ? On a multiplié les transgressions et les scandales ; on a accoutumé le peuple à mépriser le fond sous prétexte qu’il était impossible d’observer fidèlement tant de formes. Jésus-Christ nous a laissé le protocole d’une seule prière : Notre père qui êtes aux cieux, etc. Cette prière si courte suffisait en effet à des chrétiens véritablement intérieurs.
La célébration des saints mystères et l’administration des sacrements, faisaient le total de la religion : en effet, quand le cœur est à Dieu, toute action se convertit en prière, et quand le cœur n’est pas pour lui, toutes ces observances extérieures sont un faible rempart pour garantir la loi de Dieu, et elles occasionnent une fourmilière de transgressions ; car ce n’est pas que je désapprouve les longues prières, l’abstinence, les fêtes, les processions ni les institutions ; je veux uniquement présenter des sujets de consolation aux âmes timorées, qui m’ont consulté sur leurs appréhensions, en leur montrant ce qui tient à l’essence de la religion. Dieu demande comme autrefois que nous nous retirions dans le secret de notre cœur, et que nous fermions la porte sur nous, (Math. VI.) C’est de ce sanctuaire dont il demande la conservation ; que du reste on détruise des églises, qu’on vende des vases sacrés, qu’on supprime des religieuses, des processions et quelques confréries de pénitents, tenons-nous tranquilles ; élevons notre cœur vers Dieu, fréquentons nos paroisses, assistons aux offices, consacrons nos actions journalières par cet esprit intérieur de la religion, alors bien loin de rien perdre, elle ne fera que gagner. Si les cloîtres renfermaient des vertus, ils étaient aussi l’apprentissage de la plus fine vanité de l’amour-propre le plus pur et de la plus dangereuse tiédeur.
Je ne dis rien de ces engagements précipités dont des regrets amers étaient la conclusion de ces vœux barbares toujours téméraires et souvent nuis, puisqu’ils ne pouvaient pas être acceptés par celui qui est la sagesse même. Combien de religieuses sont mortes victimes d’un énoncé contre lequel, durant bien des années, le désespoir fit toute leur consolation. Rome a fait tout le mal de la chrétienté jusques dans le bien apparent qui est émané d’elle.
Qu’on ne pense pas que je veuille ici condamner les institutions générales de l’église chrétienne ; ces institutions générales sont en très-petit nombre. Le carême, si généralement observé, n’a jamais été institué par l’église ; presque toutes celles dont on se sert pour tyranniser les consciences, ont été établies par l’usage, peu-à-peu et successivement en passant d’une église à l’autre ; institutions purement arbitraires dans le principe, et dont Rome a fait autant de lois pour composer le sceptre de fer de sa tyrannie. Elle a dans la suite multiplié les dispenses ; c’est-à-dire, ses revenus annuels ; tel est l’objet surnaturel de cette multiplicité de lois. Qui peut douter que chaque évêque dans son diocèse n’ait le droit d’anéantir toutes les pratiques qui ne lui paraissent pas à l’avantage des fidèles, sans le concours de Rome et sans la tenue d’un concile ? Le saint esprit ne canonisait pas le droit canonique ni les décrétales des papes, quand il disait par l’organe du grand apôtre, en parlant à Timothée : Attende tibi et univero gregi, et il pensait qu’un évêque avait le droit, sans l’intervention de Pierre, de gouverner son troupeau selon sa sagesse. Le despotisme à la romaine n’est donc pas selon l’institution du saint esprit.
On trouvera que je suis l’ennemi de Rome ; j’avoue qu’en rendant hommage aux saintes règles, je crois et je crois fermement que le papisme (je crois à la nécessité d’un chef visible de l’église) mais je crois que le papisme, dans ses abus, a fait plus de mal au corps des fidèles, que toutes les hérésies qui ont existé, et que toute la philosophie et l’impiété de tous les monstres qui ont désolé la terre. Je crois que Pie VI, avec sa politique et ses rapports avec la cour de France, et sa coalition avec le ci-devant clergé ; je crois, dis-je, que Pie VI, avec ce cortège, pourrait être considéré comme le sujet de la perversion prédite dans l’apocalypse. Cette proposition offensera les âmes pusillanimes ; mais faudra-t-il renoncer à dire la vérité aux fidèles, sous prétexte que quelques-uns d’eux s’offenseront de ma sincérité ? Disons donc qu’on peut, sans préjudicier l’esprit de l’église, étosser [sic pour écosser] cet arbre énorme de lois, de cérémonies, et même d’institutions religieuses ; que dis-je, sans préjudicier à l’esprit de l’église, ajoutons que la sève divine n’en deviendra que plus féconde après la soustraction de toutes ces branches parasites.
La religion du cœur, soutenue d’un culte simple, vaudra certainement mieux que cet échafaudage à la romaine, qui ne sert, hélas ! que trop souvent, de voile à l’hypocrisie. Je suis catholique et romain, malgré mon aversion contre les abus de la cour de Rome, je dis les abus, ce sont les abus seuls que je déteste. J’embrasse et je chéris tout ce qui intéresse la foi et la discipline essentielle de l’église. En un mot, je ne voudrais pas qu’on sacrifiât le fonds pour sauver les formes ; je désirerais au contraire qu’on abandonnât les formes qui ont pu jadis être utiles, et qui désormais seraient préjudiciables, si le clergé s’obstinait à les conserver. Pourquoi les évêques constitutionnels ne se prêteraient-ils pas, de bonne grâce, aux suppressions accidentelles que la nation opère ? C’est-là que se bornent toutes mes prétentions ; car je suis l’ami fidèle de tout ce qu’exige l’ordre et la conscience pure et éclairée. C’est ainsi qu’en m’attachant à Jésus-Christ et à l’esprit de son institution, je suis tout disposé à faire l’abandon de tout ce qui est d’institution humaine, quelque bonne qu’elle paraisse en elle-même ; c’est ainsi, dis-je, que sans condamner ce que de saints personnages ont établi, je préfère l’homme-Dieu et sa religion sainte à toute la piété des hommes, même les plus saints et les plus renommés.
Pierre Pontard, Extrait du Journal Prophétique, 1re semaine août 1792, (p. 92-95).
Note : Illustration : Page de titre du Journal Prophétique (1792)
Pierre Pontard jugé par Saint-Martin
« Lorsque la d.d.B. [duchesse de Bourbon] me fit passer les lettres [1791] de l’évêque de la Dordogne Pontard, j’y reconnus une âme angélique et pleine de l’amour de Dieu. Mais comme je le sais travaillé d’une idée qui demande un long examen et un grand départ je ne pus m’empêcher de voir ce qui manquait encore à ce digne homme pour être ce qu’il me faut. Aussi j’écrivis à quelqu’un alors que quand ce cher Pontard serait évêque j’irais me jeter à ses pieds pour le prier de me faire prêtre. Ma réponse à la d.d.B. ne lui plut pas. Et dans le vrai, je n’y avais pas mis de prudence, vu la connaissance que j’avais de ses éléments. Mais comme son cœur est plein d’envie du bien, elle n’a pas moins d’amitié pour moi, autant qu’elle peut cependant en avoir pour quelqu’un qui la flatte si peu, et qui sait si peu plier sur les principes. » (Mon portrait historique et philosophique, n° 324.)