Mêlant le vrai et le faux, ce roman de Renée de Brimont dépeint la vie du milieu aristocratique bordelais au XVIIIe siècle dans lesquels se promènent Louis-Claude de Saint-Martin et Martinès de Pasqually.
C’est un rêve, un lien passionné entre le Philosophe inconnu et l’auteur qui se dessine tout le long de ce livre, par l’intermédiaire de Rose de Julley, son aïeule. Ici point de théorie, d’enseignement, mais une union spirituelle puissante qui traverse les siècles reliant deux âmes sœurs au delà du temps.
Les notes vibraient, se perdaient dans l’infini… Claude de Saint-Martin l’aborda ; il tenait une rose à l’instant cueillie, il déposa la fleur sur ses genoux. Et du frôlement de leurs doigts elle gardait le souvenir sensible.
Paru en 1931 aux éditions Les Cahiers Libres, dans une édition limitée à 895 exemplaires, introuvable aujourd’hui, Belle Rose méritait de sortir de l’oubli. D’autant qu’il révèle des informations étonnantes sur des personnages ayant fortement marqué l’histoire de l’ésotérisme.
Titre : Belle Rose
Sous-titre : Édition augmentée des études de Serge Caillet, Michelle Nahon, Louis Friot et Francis Laget
Auteur : Renée de Brimont
Introduction : Serge Caillet, Michelle Nahon, Louis Friot, Francis Laget
Nb. pages : 119 p
Editeur : La Tarente
Parution : Octobre 2016, Aubange
ISBN : 2-916280-27-1
Extrait :
Dans la vieille maison où s’étaient réunis, parles beaux jours de printemps ou d’automne, Dom Martinez et ses disciples, Mlle de Julley régnait seule, active et despotique. Sa fille tenait à Bordeaux le haut du pavé, bien des choses avaient changé, et la petite société de naguère s’était dispersée. Chacun suivait l’imprévisible voie assignée par son destin.
Bordeaux possédait « à la gloire du Grand Architecte, un Temple renfermant les cinq Ordres parfaits »; Paris, Lyon, Marseille, Avignon, Foix, Toulouse, Montpellier, comptaient des adeptes auxquels le « Grand Souverain » prodiguait ses directives. Il allait de l’un à l’autre, écrivait, enseignait, exhortait, promettait inlassablement les preuves sensibles qui sont le salaire des vertus et des mortifications jointes à un patient travail théurgique. Mais une quasi pauvreté entravait ses gestes, contraignait sa plume à l’aveu de ce désir « de mettre un ordre solide dans ses affaires temporelles ».
Elle reste digne, la gêne cruelle de Martinez de Pasqually. Nous pourrions, si besoin en était, l’invoquer en sa faveur et la distinguer des grossiers appeaux dont se servirent les Cagliostro et les Saint-Germain. Elle devait, dans l’intérêt des siens, le décider à partir pour Saint-Domingue où prospéraient les entreprises de ses deux beaux-frères.
Il s’embarqua. Son modeste bagage s’encombrait de notes, de feuillets à la main, de plans magiques, et, dans leurs chemises de marocain, d’une Genèse latine, des Quatre Evangiles et du Sepher Zohar, le « Livre de la Splendeur ». Les passages concernant la mystique des Lettres, ceux traitant de l’Unité divisible en Raison, en Sagesse et en Intelligence, et la description des mondes de Beriah, de Jesirah et d’Asijah, que soutiennent les colonnes des Anges, étaient soulignés de traits de plume.
A Port-au-Prince, tout en défendant ses intérêts par le moyen d’une procédure compliquée, il avait fondé un centre initiatique qu’il s’efforçait d’exalter. Et dès lors pâlit son étoile. Les Loges de France, mal défendues par leurs Substituts, se libèrent de la tutelle du maître qui renouvelle néanmoins, courrier par courrier, des instructions relatives au « Grand Cérémonial » et au « Catéchisme de Commandeur d’Orient ». Absent, il cesse d’en imposer. Un vent d’émancipation souffle de Bordeaux à Paris, les Elus-Cohëns lyonnais constituent un schisme en s’affiliant à la maçonnerie templière allemande du Baron de Wei1er, le relâchement et la désunion préparent l’agonie de l’Ordre. Martinez est découragé, malade, une fièvre mortelle aura raison de lui. Son grand rêve avortera-t-il à la veille des réalisations ? Il sait que rien d’incorruptible ne se fonde sur la terre mais que le semeur se doit de semer jusqu’au soir, et il rédige en remettant ses pouvoirs à Caignet de Lestère, cousin de sa femme, une triple instruction que le frère Timbale, à son retour en France, fera tenir au maître de Saint-Martin.
Celui-ci, muni des galons de capitaine obtenus par la protection du Duc de Choiseul, a quitté le service pour s’adonner entièrement à l’école Martineziste. Fort de son grade suprême de Réau-Croix et en qualité de secrétaire du maitre défunt, il copie pour le centre lyonnais, de sa féminine écriture, le Testament où se succèdent les noms de Moïse, de Josué, de Zorobabel, et qui se clôt sur les formules conjuratoires attribuées aux jours planétaires de la semaine.
Pendant quelques années encore subsiste une liaison étroite entre ses Frères et lui, et pourtant, bientôt, il leur reprochera d’être initiés par les formes plus que par l’esprit. En lui, l’influence de Martinez s’affaiblit, il prend conscience de sa propre nature. « Est-il besoin de tant d’affaires pour prier ? » a-t-il coutume de dire. Détourné peu à peu de la « voie extérieure » qui contraint les phénomènes surnaturels perceptibles par les sens, il se voue « aux oeuvres de la science mystique et de la pauvreté », il se complaît dans le recueillement par lequel il atteint à l’illumination individuelle.