Saint-Martin fit plusieurs séjours à Lyon et résida le plus naturellement du monde chez Jean-Baptiste Willermoz. De cette maison située aux Brotteaux ainsi que du Temple que ce dernier édifia, il ne reste nulle trace. Une brouille passagère entre les deux hommes nous préserve d’une privation totale d’un souvenir laissé par le Philosophe Inconnu. L’engagement de Willermoz dans la Stricte Observance Templière, au détriment lui semble-t-il, de ses devoirs envers l’Ordre des chevaliers maçons élus coëns de l’univers, incite Saint-Martin à lui en faire reproche par lettre postée de Paris, le 30 juillet 1775. Il propose élégamment de ne pas afficher leur discorde devant leurs frères et d’invoquer l’étude de la chimie :
Quant au prétexte, la chymie nous en sert à merveille. Je paraîtrai y avoir pris un goût infini, désirer vivement d’être plus à portée de suivre M. Privat dans ses opérations et pour cet effet avoir jugé nécessaire de prendre un logement dans ses cantons. J’en ay même lorgné un d’icy et si ma proposition ne vous paroît pas insensée, c’est à vous-même à qui j’adresserai pour la visiter et l’arrêter si vous le trouvez convenable. La maison où je désirerois pouvoir me caserner est un bâtiment neuf placé au haut du chemin neuf à main gauche avant d’être à la pente qui mêne au Gourguillon ». Suivent quelques recommandations de disposer d’un local de physique (en réalité, d’un espace réservé aux nombreux exercices théurgiques). Pour les repas, il prévoit de se fournir auprès d’un traiteur du quartier. [1. Lettre de Saint-Martin du 30 juillet 1775 à Jean-Baptiste Willermoz, page 131 in Louis-Claude de Saint-Martin, Papus, Chacornac, 1902.]
Nous pouvons observer que Saint-Martin ne choisit pas par hasard ce quartier de Lyon [2. Saint-Martin authentifie lui-même son séjour dans cette maison, à la note 307 de son Portrait historique et philosophique, Julliard, paris, 1961.], au demeurant éloigné de celui qu’il à l’habitude de fréquenter. « J’y ai vu souvent un écriteau de logements à louer » [3. Idem.] précise-t-il. C’est donc qu’il a eu l’occasion de s’y rendre fréquemment et qui d’autre que M. Privat, franc-maçon, pourrait-il rencontrer, pour s’en souvenir depuis sa précédente villégiature ? Car François Privat, chimiste de profession, est le propriétaire de l’appartement convoité. Il vit même à proximité, rue des Farges. On retrouve son nom sur les listes de la Société Philanthropique, et plus tard, sur celles des citoyens éligibles aux places municipales de Lyon [4. Note de Robert Amadou, pages 59 et 60, Les cahiers de la tour saint-Jacques, volume VII, chez Roudil, 1961,]. L’on relève enfin son nom une dernière fois, sans certitude qu’il ne s’agit pas d’un homonyme, sur la liste, plus sinistre, des envois à l’échafaud sous la terreur.
Cette maison est située au numéro 53 de la Montée du Chemin neuf, ainsi que l’a formellement identifié Joseph Buche, 1776-1847, historien, auteur de l’École mystique de Lyon [5. Idem] :
C’est au dessus de la place Beauregard, une maison à loyer, dite le Pavillon […] faisait partie d’une vaste propriété avec cinq terrasses et jardin descendant sur le Gourguillon et d’où la vue s’étend immense sur le confluent et les Alpes. Le plafond du vestibule (actuellement 53 montée du Chemin-Neuf) était orné d’une vaste peinture : Phaëton conduisant le char du soleil et embrasant le monde par son imprudence. De quoi méditer pour Saint-Martin. [6. Les Leçons de Lyon, Robert Amadou, page 126, Dervy, Paris, 1999.]