Dans ce texte, placé en introduction de son livre Opuscules ou pensées d’une âme de foi [1] Opuscules ou pensées d’une âme de foi, sur la religion chrétienne pratiquée en esprit et en vérité, Barcelone 1812 , Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon dresse son autobiographie en quelques lignes. Ce texte est suivi de sa « profession de foi, écrite en 1798 », où elle témoigne de sa préférence à l’Eglise intérieure.
Histoire abrégée et religieuse de Madme de B**[Bourbon] pour servir d’introduction à ses opuscules, ou pensées sur différents sujets, particulièrement sur la religion chrétienne intérieure pratiquée en esprit et en vérité.
Je ne crois pas inutile de donner, en même temps que mes écrits, mon Histoire abrégée et religieuse, afin d’aider ceux qui les liront à juger par quel esprit ils ont pu m’être dictés.
Élevée depuis l’âge de deux ans au couvent [2] Abbaye royale de Penthemont à Paris, destinée à accueillir les jeunes filles de la haute société (le bâtiment existe encore au 106 de la rue de Grenelle). jusqu’à celui de dix-neuf que je fus mariée, je reçus par une gouvernante très pieuse, mais peu instruite, les premiers principes de ma religion, et je suivis plutôt son exemple pratique que ses préceptes, en m’en donnant que peu sur la morale. L’on me fit faire ma première communion à onze ans, préférant disait-on l’innocence à l’âge plus raisonnable. Malgré mon enfance, je devins si pieuse que je passais chaque jour, quelquefois une heure prosternée dans une tribune où je n’étais vue de personne, et où je goutais dans cette oraison que je faisais sans le savoir, le bonheur sans doute des bienheureux, car de ma vie, je n’ai rien senti de semblable, ni d’aussi délicieux.
Lorsque j’entrai dans le monde, que l’on m’en fit connaitre les plaisirs et les vanités, que mes talents et ma figure y parurent faire sensation, ma piété se refroidit, et je perdis le bonheur.
Mon mari trop jeune et trop volage [3] Louis-Henry-Joseph duc de Bourbon, mariage célébré le 27 avril 1770 à Versailles. Dès le 3 mai 1770, elle est régulièrement à la cour. Sur ce mariage, voir L‘Amoureux de quinze ans ou la double fête. Comédie en 3 actes, en prose, mêlée d’ariettes, Lanjon, Pierre, 1771. , n’avait jamais répondu à tout ce que mon cœur désirait du sien ; le dépit, la jalousie s’emparèrent de mon âme et des sentiments me firent agir envers lui de manière à l’éloigner encore plus de moi. Enfin, m’ayant entièrement délaissée et étant aussi malheureuse qu’il soit possible de l’être, j’en fus séparée.
Je cherchais des consolations dans les charmes d’une amitié pure et désintéressée, et je la rencontrai [4] Il s’agit du vicomte Alexandre de Roquefeuil 1757-1785. . Un seul individu dont les qualités de cœur et de l’esprit adoucirent ma douleur, me rendirent le repos que j’avais perdu. Je passai sept années dans cette situation entremêlée de peines et de plaisirs, car je m’attachai trop fortement à cet ami dont les conseils et la tendresse m’avaient procuré une nouvelle existence. J’étais parvenue à l’âge de trente-cinq ans, lorsque la providence m’écrasa sous le poids du plus affreux malheur, en m’enlevant par une mort imprévue celui qui seul au monde pouvait me faire gouter encore quelque bonheur.
Mon premier soin après cette perte irréparable fut de chercher un confesseur capable par ses vertus et son instruction de me guider dans la carrière du salut. Je le trouvai et lui fit l’aveu sincère de toutes mes fautes. Après m’avoir éprouvée quelques mois, il m’admit à la communion, et me fit même peu de temps après communier tous les huit jours. J’avais acheté depuis quelques années une maison de campagne [5] Le château de Petit-Bourg, à Évry. dans laquelle s’était trouvé une bible entière de Saci [6] Louis-Isaac Lemaître de Sacy, Bible dite parfois, « Bible de Port-Royal » était très répandue au XVIIIe siècle. ; je me mis alors à la lire avec attention.
La même providence me procura également sans le chercher les œuvres de Madame Guyon, en sorte qu’avec ces aides et sans autre guide que mon désir de plaire à Dieu, d’expier mes péchés et de m’affermir dans la vertu, je m’instruisis à fond de ma religion, laquelle j’avais plutôt suivie par routine et par sentiment que par instruction. En l’étudiant davantage, les doutes s’élevèrent dans mon âme. Je les exposai à différents prêtres et laïques que je savais être instruit sur ces matières. Ils ne satisfirent point aux besoins de mon esprit qui apercevait les choses autrement qu’on cherchait à les faire voir.
Le moment de la Révolution étant arrivé, j’entendis tant d’opinions contradictoires se soutenir par les prêtres mêmes, que je ne savais à qui m’en rapporter pour suivre la vérité à laquelle seule je désirais m’attacher. J’assemblai en conséquence plusieurs prêtres chez moi pour les entendre discuter les points de controverse sur lesquels je ne les trouvais pas d’accord.
La force des raisonnements et les preuves les plus fortes me parurent, je l’avoue, du côté des prêtres constitutionnels, en sorte que le confesseur réfractaire que j’avais alors ayant émigré, j’en pris un dont je connaissais déjà les principes, et qui me parut posséder les vertus de son état [7] Il s’agit soit de Pierre Pontard le protecteur de S. Labrousse, (selon D’Almeras Les dévotes de Robespierre, p. 31-35) ou Dom Gerle, ancien prieur des Chartreux de Point-Sainte-Marie. Ce dernier siégea aux États généraux.. J’avais dans ma société un homme sage et profondément instruit sur la religion ainsi que sur toutes les sciences [8] Cet homme, c’est Louis-Claude de Saint-Martin, il écrivit, un peu à l’attention de la duchesse Ecce homo. ; qui me conseilla de cesser toutes mes recherches, et de m’abandonner uniquement à la prière, à l’oraison, et à la lecture de l’Écriture sainte, en pratiquant les bonnes œuvres.
Je fus peu après conduite en prison à Marseille, où je restai deux ans et demi [9] En mai 1793 elle est enfermée au fort Saint-Jean. Elle en sortira libre en 1796, mais son frère, Philippe Égalité y fut guillotiné.. J’y fus interrogée publiquement, mise au secret trois mois, et à tout instant dans les horreurs d’être ou massacrée ou conduite à la guillotine. Durant ce temps d’épreuve, ma foi s’affermit et s’éclaira. Je fis à Dieu le sacrifice entier de ma vie, et c’est alors que je commençais d’écrire mes idées ; mais comme elles n’étaient pas d’accord avec les principes reçus par les prêtres non constitutionnels, à mon retour de Marseille, ils m’éloignèrent des sacrements, en France, comme en Espagne où je fus exilée peu après et d’où j’écris ceci dans l’exacte vérité [10] En septembre 1797 elle est exilée en Espagne où elle restera jusqu’en 1814..
Voilà donc plus de quinze années que je suis privée de ces secours spirituels, non par ma volonté, mais par le respect que je porte à la foi qui est dans mon cœur, et que je ne saurais trahir en trompant sur mes vrais sentiments. Dieu y supplée, sans doute, car loin de m’en être jamais trouvée plus faible et plus troublée, ma conscience est tranquille, et je goute une paix profonde au sein de toutes les humiliations, épreuves et privations de bonheur en tout genre. Je reçois des lumières et des consolations intérieures qui me détachent de plus en plus de tout le créé, pour ne vivre qu’en Dieu et que pour Dieu. Enfin, je crois avoir découvert cette perle précieuse, ce trésor caché qui dédommage de tous et qui suffit à tout.
Si je me trompe, c’est dans la plus parfaite simplicité du cœur, et Dieu, qui voit ce qui s’y passe, sera mon juge. Je m’abandonne en toute confiance à sa justice et à sa miséricorde, laissant les hommes me condamner s’ils le veulent, sans être troublée, sans pouvoir changer, ne sans leur en vouloir aucunement, mais les plaignant de ne s’en pas fier à Dieu seul, comme je l’ai fait moi-même, pour être guidés, éclairés, fortifiés et consolés en toute occasion et sur toute espèce de choses qui regardent notre salut éternel.
Ma profession de foi, écrite en 1798, et ratifié en 1806 à Barcelone
Je crois à Jésus-Christ. Je crois à tous ses mystères. Je crois à l’église qu’il a établie par ses Apôtres, et je veux vivre et mourir dans son sein. Mais je n’ai pas une conviction aussi intime que l’église visible de nos jours, qui a pour chef le Pape, soit cette même église que Jésus-Christ a voulu établir.
Si tout ce qui est dicté par l’église visible vient de lui, il est clair que j’y crois, puisque je ne crois qu’à Jésus-Christ et à tous ceux qui émane de son esprit. Mais c’est sur cela que je n’ai pas la même conviction, car je suis bien plus persuadée qu’il y a d’autres membres de l’église qui quoique n’étant pas de sa communion extérieure, appartiennent plus véritablement un Jésus-Christ que tous les membres de morts qui sont dans son sort et qui sont en son sien, et qui sont en beaucoup plus grand nombre que les vivants, car je fais consister leur vie loin dans la croyance, mais dans les œuvres de foi et de charité qui n’ont que Dieu et son amour pour objet et pour fin.
Il y a, ce me semble, une distinction à faire de l’église enseignante d’avec l’église opérante. L’une est visible aux yeux du corps, l’autre l’est aux yeux de l’âme. Pour être de l’église enseignante, il ne faut posséder qu’un certain savoir et quelques marques extérieures ; au lieu que pour l’église opérante, il faut avoir reçu l’onction du Saint-Esprit et posséder le verbe en soi, par lequel on opère véritablement des œuvres divines, et l’on peut dicter des décrets émanés de la vérité pure. Or, c’est église opérante est invisible aux yeux du corps que je crois et que je peux toujours me soumettre. Reste à savoir si tous les décrets qui partent de Rome et de l’église enseignantes ont été prononcés par l’église opérante. C’est ce que je ne puis vérifier, mais ce que toutes les petites difformités que je remarque dans l’église visible ne me laissent pas possibilité de croire. Au reste, si j’ai des idées fausses sur cela, c’est du fond de mon cœur que je les désavoue devant Dieu, qui voit la droiture de mes intentions, et qui lui-même me condamnerait sûrement si je parlais autrement que je ne pense, surtout au tribunal de la pénitence.
Notes :